Les jeux de l’imaginaire : pour une ré-inclusion du jeu de rôle dans sa grande famille

Ah, les typologies….si vous avez déjà consulté celle des ludothèques, vous savez que le terme de « jeux de rôle » renvoie à la catégorie des jeux « de poupée » de premier âge. Les « jeux de rôles » sont classés dans les « jeux de simulation », sans distinction avec les autres jeux de plateau…alors que dans le milieu du JDR, on entend souvent les joueurs décréter « que ce n’est pas du jeu de plateau », sans compter, bien sur, la multiplication des termes, tels que « Narrativsite », indé », « narratif », dont on ne sait trop ce qu’ils recouvrent.

Avec ce petit article, je vous présente une autre nomenclature possible des jeux de l’imaginaire, qui permet de mettre tout a plat et de repenser sans à priori la place de ces jeux au sein d’une grande famille.

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La famille des « jeux de l’imaginaire (interprétés par les humains) »

 

A ce premier niveau, je distingue les jeux abstraits des jeux thématiques (dont les éléments ont une signification particulière, et ne sont pas seulement des « pièces »). Vient ensuite se superposer une deuxième grande distinction, apparue à partir des années 70 : les jeux dont le système est géré par les joueurs d’un coté, et les jeux dont le système est pris en charge par une IA de l’autre.

On notera que dans les deux cas, la frontière, si elle existe bien, est plus progressive que binaire. Les « kubenbois » sont des jeux supposés thématiques, mais celle-ci tient souvent de l’habillage de jeux qui sont d’abord abstraits (El grande, etc…). De même les jeux sur forum, bien que « sur ordinateur », ont des systèmes entièrement gérés par les cerveaux des joueurs.

Cette première approche nous permet de circonscrire quatre groupes, dont celui de la famille des « jeux de l’imaginaire à systèmes interprétés par les joueurs » qui se caractérise par sa double appartenance aux jeux thématiques et interprétés par le cerveau des joueurs. A ce titre, elle ne recoupe pas entièrement la catégorie des « jeux de plateau », qui comprend les jeux abstraits et déborde largement vers l’informatique (tel un Civilisation passé sur ordinateur dans les années 80-90).

Premier version informatique de Civilisation, sous DOS, 1991

Ce que nous appellerons tout simplement, « jeux de l’imaginaire » (pour simplifier) sont ainsi des jeux ou les joueurs sont doublement investis dans un processus mental, celui de la « mise en oeuvre » des règles, qui est déjà un univers imaginaire, et, au delà, la création d’une « réalité alternative » sur le modèle de la suspension d’incrédulité propre au roman mais (en principe) collective.

 

Les grands clivages dans la famille des jeux de l’imaginaires : jeux « à règles » versus jeux « à systèmes »

 

Ces « jeux de l’imaginaire » sont très hétérogènes, surtout du point de vue de leurs joueurs, qui forment des univers sociaux et de pratiques très différentes.

Pour ma part, je vois deux grandes familles au sein des jeux de l’imaginaire part rapport à la nature de leurs systèmes. Ici, je fais le distinguo entre règles et système, simulation et émulation.

 

  • La règle est faite d’éléments cumulatifs, des cas particulier, des bonus, etc…. On peut en retrancher ou en supprimer, sans en détruire le fonctionnement.
  • Le système est fait de boucles imbriquées. On ne peut pas en retrancher sans détruire l’ensemble.

 

  • La règle peut être plus ou moins simple, ou si l’on rajoute des éléments, compliquée 
  • Le système peut être plus ou moins simple, ou, si on rajoute des boucles, complexe.

 

  • La règle a besoin de beaucoup de pages pour exposer tous les bonus et cas particuliers. Elle peut être mise en marche facilement en simplifiant, mais à besoin de beaucoup d’aide mémoire pour ne pas manquer tel ou tel détail.
  • Le système, même complexe, peut être visualisé avec peut de moyen. Plus difficile à comprendre dans son ensemble, il est ensuite plus facile à mémoriser.

 

 

A cela, on peut ajouter la différence entre simulation et « émulation ».

La simulation repose sur un rapport d’homologie avec la réalité. Elle prétend la représenter en miniature, sur une base probabiliste. Elle présuppose, a l’égard de la vision occidentale du monde (et ce n’est pas un hasard si la wargame apparaît en Europe à la fin du 18e siècle) qu’il existe un monde objectif, indépendant de l’observateur, réductible à un ensemble de variables en très grand nombre mais non infinies. La réalité « virtuelle » est l’application des mêmes principes grâce à l’informatique, ou l’on voit bien comment la simulation tend à la fabrication d’une réalité alternative qui, poussée à son extrême, se confond avec la réalité même. La simulation appliqué à un individu suppose un avatar, forme dupliquée de soi.

L’émulation ne prétend pas capturer la réalité, mais au mieux une face ou une version de celle-ci. Dans un jeu, elle suppose un « point de vue » assumé. De ce fait, elle entretient aussi une plus grande proximité avec la fiction.

Pour ce qui est de l’univers du jeu, Simulation et règles d’un coté, Émulation et Systèmes de l’autres vont le plus souvent de pair.

Toujours est il que nous ne retiendrons que les deux groupes, « jeux à règles » d’un coté, « jeux à système » de l’autre.  Dans les premiers, on trouve la plupart des « jeux de rôles », les wargames, une partie des jeux de plateau…et dans l’autre, la majorité des jeux de plateau modernes, mais aussi une partie des JDR….

 

Et Les jeux de rôles dans tout ça ?

 

La réponse est : encore faut il définir ce qu’est un « jeu de rôle ». Pour l’instant, nous avons une grande famille des jeux de l’imaginaire, et deux grand types de conceptions. Pour ma part, je retiens un seul critère qui a lui seul, caractérise un type de jeux particulier, ou si vous préférez une « famille élargie » du jeu de rôle: ceux des jeux « avec input » ou « sans input ».

Les jeux « sans input » sont ceux ou rien n’est ajouté par les joueurs en dehors des procédures prévues. On bouges des cubes, on jettes des dés, on place des pions. Rien ne vous empêche de raconter l’histoire de ce petit pion, de lui donner un nom, des émotions, mais rien n’est prévu pour cela. Au contraire, les » jeux à Input » prévoient explicitement (ou ont pour objet) la création d’éléments qui n’existent pas en tant que tel, au départ, dans les règles/systèmes.

 

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Evidemment, les jeux que l’on considère habituellement comme « jeux de rôles » se trouvent dans cette famille, représentée ici dans un cercle vert. Mais pas seulement.  On remarque immédiatement qu’elle même se trouve à cheval sur les deux grands types de jeux (à règles/système)…ce qui configure, au sein de cette grande famille, deux types de jeux « de rôle ». D’une part, les jeux de l’imaginaire à input ET à « règles » : on y trouve la plus grande partie des jeux de rôles « classiques », mais aussi des jeux comme il était une fois. Dans l’autre (celle des jeux « à système »), on trouve la plus grande parties des jeux de rôles « de nouvelle génération », « narratifs » ou « indé »…

A cette distinction, j’ai ajouté un critère « formel » employé par les joueurs pour distinguer un « jeu de rôle » : la configuration traditionnelle, celle de MJ-joueurs, représentée par un cercle rouge sur le graphique. On constate qu’elle ne recoupe pas exactement la « nature » des jeux. Une de ses marges est particulièrement intéressante, celle des « jeux de l’imaginaire à Input et à système », voisins des « jeux narratifs » (voir ci dessous). Ce sont, d’après leur configuration, des jeux de rôles comme les autres mais qui se distinguent néanmoins par leurs conception en « système ». J’ai étiqueté ce sous-ensemble « Jeux de rôles en coherent design », en empruntant à un post sur le net.

Ce cercle rouge laisse en dehors des jeux en tout points semblables à ces derniers, à la différence prés qu’ils n’ont pas la configuration du JDR: jeux sans MJ, compétitif, etc…… Je les ai entourés d’un cercle est baptisés « Jeux narratifs ».

 

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Bref, la distinction entre « nature » des jeux de l’imaginaire (systèmes/règles) et leur « forme » (avec MJ ou pas, etc…) permet déjà de distinguer quatre situations différentes, et donc d’apporter un peu d’intelligibilité, sans compter qu’on re-intégre les « jeux de rôles » dans une famille plus grande en mettant en évidence les rapports qu’elle entretient avec elle.

Enfin, le graphisme montre clairement que la division jeux à règles/ jeux à système traverse aussi les jeux « sans input », autre dit le monde des jeux de plateau, correspondant en grande partie à une évolution historique: les jeux « à règles » ou « de simulation » occupent le devant de la scène des années 60 aux années 90, du Wargame aux « jeux de rôles » cédant ensuite la place aux « Eurogames » qui représentent désormais une part prépondérante des jeux de plateau  modernes, de même que dans les jeux à Input l’apparition des « jeux narratifs » est encore plus récente.

 

Les marches ludiques, archaïsmes ou avenir du jeu « de rôle » ?

 

Le plus grand (ou seul ?) intérêt de faire des typologie et de tester leur limites, et de voir si cette nouvelle façon de regarder la réalité nous apporte quelque chose. Les « marches » des genres sont à ce titre encore plus intéressantes.

Un jeu comme Mafia (les fameux » Loup-garous ») est un jeu « à input et à système », qui de surcroît partage avec le jeu de rôle la plupart des éléments de sa « configuration » (un meneur de jeux, un personnage). On m’objectera que l’input y est limité, mais je pense que plus que l’input, c’est le fait que le jeu repose moins sur une « simulation » que sur une « émulation », donc avec un point de vue restreint de la situation (un village, un loup-garou, les alternances joueurs-nuit….). Et les loups-garous ont engendré une véritable famille, celle des « jeux à rôles », pleine de potentiel…

J’ai également placé les « jeux d’expression » (Le carabistouille, Dixit, etc…) à la limite de la sous famille des jeux à input et aux marges des jeux narratifs. Il est indiscutable que l’input y est crucial, et c’est même ce qui fonde leur succès. La différence avec les JDR et les jeux narratifs étant que leurs ambitions fictionnelles sont plus limitées. Elle racontent moins une histoire qu’un « moment » précis. La frontière n’est reste pas moins poreuse. Ainsi, les jeux du « Narrative Cage Match » sont issus du Carabistouille, mais ambitionnent de créer une histoire complète, ce qui dans mon graphique, les place non seulement au cœur des jeux à Inputs, mais au croisement des jeux de rôles et des jeux narratifs (voir à ce sujet « Soap RPG » que je viens de traduire). A noter qu’un jeu comme « il était une fois », se place davantage du coté des marges du jeu à règles, les jeux d’expression étant eux aussi travaillés par la distinction jeux à règles / jeux à systèmes.

 

Un autre cas intéressant est celui d’un jeu ancien qui a joué un rôle dans la naissance du jeu de rôle : Diplomatie. Je l’ai mis en périphérie des jeux à input et a système, car si c’est un jeu de plateau, il fait partie (et même initie) une famille qui, a travers les tractations des joueurs et la liberté de passer des accords, inaugure dans les jeux de plateau un input très circonscrit mais réel, bien avant D&D. A mon avis, il s’agit la d’une famille de jeux encore pleine de potentiel.

 

D’ailleurs, un jeu comme « en garde » (que j’ai placé en marges, coté « jeux à règles ») fut déjà en son temps une sorte de précurseur du « jeu de rôles », tout en ayant des caractéristiques différentes (pas de meneur de jeu, grand nombre de joueurs, etc…). Toujours du coté des « jeux à Input et à règles », les marges du JDR sont d’ailleurs depuis longtemps floues. Les Livres dont vous êtes le héros ont donné naissance à des jeux proches de la configuration du JDR (les 1001 nuits, Détective Conseil)….mais sans véritable input. C’est le cas aussi des Dungeon Crawler qui montrent comment D&D continue à évoluer dans de multiples sens, et pas forcement dans celui de « l’input ».

Enfin, comme pour la « configuration du JDR », on notera que l’expression « jeux narratif » se développe de façon autonome dans le jeu de plateau, sous l’influence des jeux vidéos, mais pour qualifier des jeux sans input, qui ont plus en commun une dimension « collaborative » et un « thème fort ».

 

Pour terminer, j’ai rajouté le périmètre de l’objet éditorial de 500NDG. On remarque qu’il exclue les jeux « à règles » et  la portion des « JDR » qu’il comprend, centrée sur celle des JDR « en coherent design » reste marginale.

 

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Note : pour plus d’articles, consultez le tag Geeks & Dragons. Un certain nombre de jeux mentionnés et/ou publiés par 500NDG sont téléchargeables gratuitement sur ce site. C’est le cas de Capes, jeu de super-héros compétitif et sans MJ.

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